#parole d’expert : Anne Guilbaud (AGC Conseil) – La force de la licence dans le jouet – Partie I
Le calendrier fait bien les choses : à quelques semaines de Noël, voici le point d’un partenaire privilégié des licences, le secteur Jouet.
Les jouets au service du jeu, essentiel pour bien grandir
Et si on commençait par le pourquoi (1) ? Parler jouet c’est d’abord rappeler l’importance du jeu pour les apprentissages et le développement des enfants. Tout en s’amusant, les enfants travaillent leurs compétences motrices, cognitives, sociales et émotionnelles, rien que ça !
Le jeu est d’ailleurs reconnu comme un droit pour les enfants par les Nations Unies.
De tous temps, les jeux et jouets ont été les instruments du jeu comme en témoignent les toupies ou le plateau du jeu du serpent retrouvé en Égypte qui date de 3000 ans avant Jésus Christ.
Jouer dedans, dehors, en famille ou entre amis permet ainsi aux enfants de bien grandir mais pas seulement, il les rend aussi heureux.
Ce n’est pas une simple affirmation mais la conclusion unanime de trois études sérieuses réalisées entre 2020 et 2022 en France et à travers le monde :
- 93% des enfants disent que jouer les rend plus heureux selon l’étude Kid Insights pour Mattel (2)
- 95% des parents valident le fait
- que le jeu a permis de garder le moral en famille pendant la crise sanitaire en France selon l’étude Quantitude (3) pour la FJP
- le jeu rend toute la famille plus heureuse car il renforce les liens familiaux et améliore le bien-être selon l’étude Play Well 2022 de Lego (4)
A l’appui de cette étude, la puissance et l’importance du jeu sont d’ailleurs devenus la pierre angulaire de la nouvelle plateforme de marque Lego 2023 « libérez le super-pouvoir de jouer ».
Les chiffres clés du marché du jouet : le jeu en vaut la chandelle
Un marché de taille attractive
Le jouet est un marché mondial qui réalise 107 milliards de dollars de CA en 2022 (5), au même niveau qu’en 2021.
La France est bien positionnée avec la cinquième place au niveau mondial et le leadership de l’Europe au coude à coude avec l’Allemagne.
Le marché français du Jouet a réalisé un CA de 4,4 milliards d’euros en France en 2022 (4.64 milliards de dollars) (5). Pour comparaison c’est un marché à peu près équivalent à celui du livre (CA de 4.3 milliards d’euros en 2022 de source GfK) et qui représente 80% du marché des jeux vidéo (CA de 5.5 milliards d’euros en 2022 de source SELL)
Un marché jusqu’ici résilient
Le taux d’évolution du jouet en France est comme un serpent qui ondule bon an mal an entre -3% et +3% en valeur depuis une vingtaine d’années.
Les trois dernières années ne font pas exception. Le zoom met en évidence que le recul de 2022 n’a pas gommé tous les gains de 2021 par rapport à 2019, année de référence avant Covid :
- 2020 voit une baisse modérée de -1,5% du marché du jouet en valeur vs 2019 malgré la crise sanitaire et 12 semaines de fermeture de magasins physiques.
- 2021 a été un bon cru avec une progression de +3.3% vs 2020 et +4.9% vs 2019
- 2022 marque le retour à la normale avec une baisse contenue de -2.6% vs 2021. Le marché reste supérieur de +2.1% à son niveau de CA de 2019.
Un marché à regarder de plus près
Loin d’être monolithique, le marché se compose de multiples segments de produits. 4 super catégories de jouets sur les onze que compte le panel Circana progressent en 2022.
Bien que n’en faisant pas partie, les jeux et puzzles méritent qu’on parle d’eux,
- Avec un poids de près de 19% dans le CA total ils représentent en effet la première catégorie du marché devant les Jouets premier âge (16%) et la construction (12.5%) qui complète le trio de tête.
- Si cette super catégorie affiche un recul à-2.8% en 2022 à peine plus marqué que l’ensemble du marché, il faut signaler que les deux années précédentes ont été exceptionnelles pour les jeux de société : ils ont progressé de +12% par an en valeur en 2020 et 2021 ! Il s’agit donc d’une légère correction en 2022, sans doute liée à un effet d’équipement des familles.
A l’autre extrémité du classement, l’électronique junior se distingue : la plus petite catégorie du Jouet (moins de 3% du CA) est aussi la plus dynamique avec une croissance de +14% en 2022.
L’analyse en fonction des propriétés, marques ou licences, est une autre clé significative de compréhension du marché.
La licence, une force motrice qui en a encore sous le capot
Issus du grand écran, de la TV ou des plateformes digitalisées, les héros peuplent les rayons jouet.
En 2022 les licences ont déjà tiré leur épingle du jeu en France avec une augmentation des ventes de +1.8% sur un marché du jouet en recul de -2.6%. La licence réussit même à croître de +12% par rapport à 2019. Sur leur lancée, les jouets sous licences ont surperformé le reste du marché, en France comme en Europe sur les neuf premiers mois de l’année 2023 : ils ont enregistré une croissance de +1% contre un repli de -4% au total des 5 pays européens (recul de -4.5% pour la France).
En France, la licence représente cependant moins d’un quart du CA marché (24.3% et 24.4% en 2022 et 2023 sur le cumul à fin septembre). Une part bien inférieure à celle détenue de l’autre côté de la manche et de l’atlantique : les jouets sous licences ne pèsent pas moins de 30% du CA du jouet aux États Unis ou au Royaume Uni (30.5%). Ce différentiel permet de prendre la mesure du potentiel de la licence en France et nous la retrouverons dans les tendances phares de cette fin d’année (teasing).
Parmi les licences stars, les Pokémon caracolent toujours, 25 ans après leur lancement, en tête des ventes. Un coup d’œil au top jouet de septembre 2023, avec 8 références Pokémon sur 10, suffit pour s’en convaincre. Impossible aussi de ne pas citer Harry Potter, Star Wars et Marvel parmi les licences mondiales pérennes toujours au coude à coude en France dans le jouet. Pour compléter le tableau, sans être exhaustif, Super Mario et Barbie ont été boostés par les blockbusters du printemps et de l’été 2023, rejoints sur grand écran, dès le 11 octobre 2023 par la brigade canine la plus célèbre du monde. La Pat Patrouille place déjà 2 références Spin Master dans le top de septembre (hors Pokémon) dont une dérivée du film.
La double cible marketing du jouet
Les enfants sont bien évidemment les premiers destinataires des jouets : ils jouent pour le plaisir et bien grandir. C’est pourquoi la baisse de la natalité, continue depuis 2011 en France (excepté le petit rebond de 2021) inquiète autant qu’elle impacte le marché. Selon Circana, le recul du nombre d’enfants de moins de 12 ans représente un manque à gagner de 60 M€ sur un an pour le Jouet. Il pénaliserait ainsi le chiffre d’affaires annuel du marché de 1.4%.
A défaut d’être des acheteurs (sauf argent de poche), les enfants sont des prescripteurs particulièrement importants au sein de la famille pour les achats de jouets : 62% des enfants rédigent encore ainsi leur liste au Père Noël (source Quantitude).
Aux côtés des parents et de la famille qui constituent la cible « acheteurs », la cible « enfants » est devenue plus difficile à adresser. Bien sûr, les enfants s’inspirent toujours pour leurs listes de vœux des catalogues de jouets de Noël, tirés à 40 millions d’exemplaires en 2023, et de la publicité TV. Mais la couverture TV quotidienne des enfants de 4-14 ans ne cesse de se réduire : elle est ainsi tombée de 74% à 56% en 10 ans (6). La SVOD qui influence les enfants non par la publicité mais par des contenus jeunesse soigneusement parmi les franchises à succès commence, elle aussi, à plafonner. Au marketing donc d’être agile et d’adapter son mix media pour aller chercher, y compris sur les réseaux sociaux, ces audiences jeunesse de plus en plus fragmentées.
Le jouet cependant n’est pas que pour les enfants !
Les fans de 12 ans et plus (de dix-huit ans et plus même, pour la grande majorité) sont plus nombreux chaque année à collectionner cartes et figurines, à se retrouver pour jouer à des jeux de société ou à construire de gros modèles Lego comme des répliques de vaisseaux.
En France, les dépenses en jouet de ceux qu’on a dénommés les « kidultes » ont augmenté de +4% en 2022 pour peser 28% du CA annuel. Même poids dans le CA en Europe où les « kidultes » représentent déjà la bagatelle de 4,6 milliards d’euros de ventes en 2022 au total des 5 pays. Encore une tendance à suivre en fin d’année.
Une saisonnalité lourde
L’énorme enjeu des fêtes de fin d’année paraît une évidence pour le jouet. Voici quelques indicateurs de l’ampleur de la saisonnalité qui risquent quand même de surprendre.
Sur la base d’une année moyenne et de 2022 :
- Les quatre derniers mois (dernier quadrimestre) pèsent 60% du CA annuel du marché
- Le dernier trimestre -d’octobre à décembre- pèse + de la moitié du CA annuel marché, 53% exactement en 2022.
- Le mois de décembre pèse jusqu’à 29% du CA annuel du marché en fonction notamment du jour de la semaine sur lequel tombe Noël et des dates de vacances scolaires. Un poids exact de décembre de 28.6% en 2022 où la croissance s’est jouée non seulement sur le dernier mois mais aussi l’avant-dernière semaine de l’année juste avant Noël (à +18% vs 2021)
Avec cette saisonnalité très marquée il faut donc avoir le cœur bien accroché pour travailler sur le marché du jouet.
Et plus encore en 2023 où l’activité a mal démarré.
Déjà en recul de -4.1% à la fin de l’été, le jouet a raté sa rentrée avec une baisse de -7.5% des ventes valeur sur le mois de septembre. La régression du marché s’est ainsi accentuée avec une baisse de -4.5% du CA 2023 à 2 milliards d’euros en cumul à fin septembre. Rattraper ce -4,5%, ne sera pas aisé : à partir du 1er octobre, il resterait 54.5% de l’année à faire pour rester à l’équilibre par rapport à 2022.
La baisse du pouvoir d’achat est la principale raison de la réduction sur le permanent des dépenses en jouet, quelle que soit l’étude. Elle arrive ainsi en premier avec 44% des personnes interrogées par Circana l’été dernier.
Mais le jouet a bien des atouts à faire valoir auprès des familles en cette fin d’année pour que la magie de Noël et les rêves des enfants soient encore préservés en 2023.
Rendez-vous pour le deuxième volet de cette parole d’expert en direct du Préshow Noël – Jouets & Jeux à Deauville, le salon professionnel du jouet.
Tous les chiffres cités dans cet article sont de source Circana (auparavant The NPD Group et IRI) parus dans la presse sauf mention contraire.
(1) Question enfantine & livre de management de Simon Sinek
(2) Etude Kid Insights pour Mattel – 11500 enfants français 3-12 ans interrogés entre le 1er mars 2019 et le 31 mars 2020
(3) Etude Quantitude pour la FJP –Enquête réalisée On Line en France en mai 2021 auprès d’un échantillon représentatif de 360 parents d’enfant âgés de 6 à 8 ans
(4) Etude LEGO Play Well 2022 – Recherche menée auprès d’un total de 32.781 parents et 24.593 enfants âgés de 5 à 12 ans par le biais d’une enquête quantitative en ligne de 20 minutes réalisée sur 35 marchés, au début de l’année 2022
(5) Circana Consumer Tracking Service Report – 100% marché
(6) Glance